À sa première année comme policier, l’agent Pierre-Charles Lussier a été témoin de 17 décès. Un début de carrière «mouvementé», dit-il, mais qui n’est pas si différent des 10 autres années qui ont suivi. Autant d’événements qui peuvent devenir des traumas, dont il faut parler, et qu’il faut soigner.
Dans un souci de bien-être psychologique pour tous les policiers du Québec, l’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) a pris la parole le lundi 4 novembre dans les locaux du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) pour souligner l’importance de pouvoir offrir d’ici peu aux policiers un programme d’expertise psychologique spécialisé.
Policier depuis dix ans, l’agent Lussier, de la Régie de police de Roussillon, est un passionné de son métier. Renseignements criminels, crime organisé, trafic d’armes et de stupéfiants, il adore l’adrénaline qui lui procure la prise d’un appel et le sentiment du devoir accompli après une prise en charge.
Facile le métier de policier? Pas si vite! «Derrière l’uniforme se trouve des êtres humains. On n’est pas des robots, on n’est surtout pas des machines», laisse-t-il tomber.
Traumatismes
Ainsi, l’agent Lussier revient sur des appels difficiles, frustrants. «On a souvent affaire avec une clientèle de violence conjugale, l’itinérance et la misère humaine qui fait partie de notre société aujourd’hui.»
«J’ai eu un début de carrière assez mouvementé, poursuit-t-il. J’ai eu un total de 17 décès à ma première année. Je suis policier depuis dix ans, je vous laisse compter. On voit des gens mourir en face de nous, que ce soit de causes naturelles ou par des gestes volontaires ou des accidents de la route.»
Le policier fait état d’un collègue qui ressent toujours une pression en descendant au sous-sol chez lui, depuis qu’il a sauvé la vie d’une adolescente qui voulait mettre fin à ses jours par pendaison. «Un lieu, une odeur ou un son peut réveiller un mauvais souvenir. Le cerveau fait des mauvaises associations. C’est normal.»
D’autres fois, c’est en repassant devant un duplex que des images d’un suicide par pendaison lui reviennent. Il y a aussi des dates, des heures exactes, qui peuvent produire la même chose. Ainsi, pour lui, le 29 octobre est toujours difficile.
«Cette année, c’est le 5e anniversaire de la mort de mon meilleur ami David. Il s’est enlevé la vie d’une façon atroce. J’ai eu la chance d’avoir mon lieutenant qui a eu une formation en santé mentale qui m’a empêché de rentrer dans l’appartement», raconte le policier, la voix chancelante.
Cependant, la vue de la dépouille de son ami sur une civière le hantera toute sa vie.
L’agent Lussier appréhende également les premières neiges depuis qu’en 2015, lors de ses débuts comme policier, un collègue a abattu un adolescent qui venait de poignarder son père. «Le jeune est décédé devant nous et la neige commençait à tomber. C’est un événement qui vient encore me chercher.»
L’an dernier, il a été diagnostiqué à deux reprises pour des stress posttraumatiques. La dernière fois, c’était à la suite du suicide d’un jeune qui a mis fin à ses jours en sautant d’un viaduc. Le corps a ensuite été heurté par un véhicule. «Il n’y a pas d’âge pour mourir, mais c’est très difficile de voir un jeune s’enlever la vie. Ça nous fait réaliser à quel point la vie est fragile.»
Depuis, chaque fois qu’il passe sous un viaduc, il revoir ces horribles images qui lui donnent des cauchemars.
«Chacun vit son stress posttraumatique à sa manière, amplifié par sa désillusion face au métier. On voulait sauver le monde, mais on n’est pas des robots ni des superhéros. On est des humains comme tout le monde, des papas et des mamans, frères, sœurs, fils, filles. D’ailleurs, je salue mes deux enfants qui rêvent d’être policiers un jour», souligne le policier.
Il insiste sur l’importance pour les policiers d’avoir des ressources accessibles afin de pouvoir parler pour faire sortir ces images atroces et le mauvais stress de son corps avant de sentir une détresse psychologique.
Le témoignage de l’agent Lussier a été chaleureusement applaudi par les directeurs et directrices de divers corps policiers du Québec, ainsi que par des représentants de la Gendarmerie royale du Canada et de la Sûreté du Québec, venus en nombre pour témoigner de leur soutien unanime à cette initiative. Parmi eux, on retrouvait notamment Patrick Bélanger, directeur du SPAL, Michel Guillemette et Sylvain Boudreault de la Régie de police de Roussillon, ainsi que Ginette Séguin, directrice du service de police de Châteauguay.
Soutien psychologique adapté
Psychologue à la Ville de Longueuil, Roxanne Perreault rappelle que le métier de policier vient avec des aspects positifs et stimulants mais aussi avec des impacts potentiels sur le plan de la santé mentale.
«Par la nature même de leur travail, et contrairement à la majorité de la population, les policiers sont exposés tout au long de leur carrière à des événements négatifs ou potentiellement traumatiques, indique-t-elle. Bien qu’ils soient formés, ils ne sont pas des robots et des réactions normales peuvent apparaître devant des situations anormales et perdurer dans le temps.»
Depuis trois ans, Annie Gendron, chercheuse au Centre de recherche et de développement stratégique de l’École nationale de police du Québec, se penche sur la meilleure façon de favoriser le bien-être des policiers dans leur travail. «La nature du travail ne changera pas. Il faut donc mettre nos efforts en commun pour mieux les protéger avant qu’une détresse psychologique s’installe.»
Selon de récents résultats de la Chaire de recherche UQTR-ENPQ sur la prévention de la santé psychologique au travail en sécurité publique, plus de 75% des policiers disent avoir été exposés à des événements potentiellement traumatisants au moins une fois en carrière. Ce taux de lésions psychologique est 5,2 fois plus élevé que dans les autres professions.
«Il est donc essentiel d’instaurer des mesures de soutien psychologique adaptées aux besoins spécifiques des policiers», avance la chercheuse.
Diverses options à venir
Si les corps policiers des grandes villes ont la chance d’avoir accès à des psychologues spécialisés en travail policier et que certaines initiatives sont prometteuses dans de plus petites villes, il n’en est rien dans la majorité des autres endroits. Au mieux, les policiers peuvent se référer au service d’aide des employés municipaux, ce qui est nettement insuffisant selon l’ADPQ qui propose l’idée d’un programme québécois d’aide aux policiers.
«L’ADPQ travaille de concert avec la Sûreté du Québec afin d’évaluer quels types de programmes pourraient voir le jour et les coûts qui y seraient associés. Nous espérons présenter diverses options au ministère de la Sécurité publique d’ici quelques mois», a affirmé Pierre Brochet, président de l’ADPQ et directeur du service de police du Québec.