«Salut Legault, on se r’verra… au mois de janvier!» ont chanté en reprenant l’air de 23 décembre les quelque 150 professeurs du cégep Édouard-Montpetit lors d’une marche jusque dans Place Longueuil, ce mercredi. Une ritournelle qui semble témoigner tant de leur mobilisation que du faible espoir de voir une entente se conclure d’ici les prochains jours.
Les voix du chœur improvisé de professeurs résonnaient dans Place Longueuil. Les manifestants ont enchaîné quelques chansons de Noël aux paroles revisitées pour l’occasion.
«Vive le front, vive le front, vive le front commun!» ont-ils entonné sur l’air de Vive le vent.
La délégation de professeurs, qui a arpenté tout le centre commercial, n’est pas passée inaperçue. Les clients affichaient des sourires, en saluant les manifestants. Un concierge a même sorti son iPad pour immortaliser le moment. Les agents de sécurité souriaient toutefois un peu moins.
Par cette action, ils lancent le message que les professeurs devront réduire leurs dépenses et vivre un «Noël maigre» en raison de la grève qu’ils mènent pour améliorer leurs conditions de travail.
Entamant leur marche au cégep, les professeurs ont fait un arrêt pour donner des denrées à la Maison la Virevolte, qui offre de l’aide alimentaire. Ils se sont ensuite rendus sur le viaduc de la rue Saint-Charles, qui mène à la Place Charles-Le Moyne, attirant des klaxons en provenance des voies de la route 134 sous leurs pieds.
Peu d’espoir
Y aura-t-il une entente entre le Front commun et le gouvernement d’ici la fin de la semaine? Nicolas Chalifour, vice-président communication du Syndicat des professeurs et professeurs du cégep Édouard-Montpetit (SPPCEM), peine à répondre.
«Les membres sont encore très mobilisés, constate M. Chalifour. On est encore dans une posture de jusqu’au-boutisme. Je ne suis pas certain qu’une entente mi-figue mi-raisin passerait en assemblée.»
Professeurs à la Technique en intégration multimédia, Alexandre Paradis a la sensation que le gouvernement «joue avec les nerfs du public» et attend que l’opinion publique bascule en la faveur du gouvernement. «Il y a plus de 400 000 travailleurs en grève, et le gouvernement n’a pas l’air de s’en soucier», observe M. Paradis
Sociologue à Édouard-Montpetit, Martin Geoffroy juge que leurs revendications n’intéressent pas le gouvernement Legault. «Quand le PM sort, il est avec Bernard Drainville et Christian Dubé. On ne voit pas la ministre de l’Enseignement supérieur. Ça en dit long, se désole-t-il. On a une table sectorielle, et ça avance zéro. Ça recule même.»
@ST:Besoins particuliers et cas lourds
@R:Ce «désintérêt» se transporte même dans les classes, affirme M. Geoffroy, d’avis que l’intégration des étudiants en difficulté est complètement balayée une fois au collégial.
«Des cas de TDAH, de dyslexie, on en voit depuis longtemps, il y a rien là. Maintenant, on se retrouve avec de plus en plus de cas lourds. Des jeunes qui ont des problèmes de comportements sévères. Ce n’est pas qu’on ne veut pas les aider, c’est qu’on n’a pas la compétence», laisse-t-il entendre.
Nicolas Chalifour fait également état de l’«explosion» du nombre d’étudiants à besoins particuliers. «Sur une classe de 45, il peut y en avoir 10, 12», illustre-t-il, même au cégep.
Précarité longue durée
La bataille contre la précarité est aussi l’une des grandes revendications des professeurs du milieu collégial.
«Au cégep Édouard-Montpetit, 40% des professeurs sont précaires. Certains obtiennent leur permanence après 10, 15 ans, relève M. Chalifour. On s’y attend pendant deux ou trois ans, mais on a des professeurs qui enseignent depuis 20 ans et qui sont toujours précaires.»
«Je vais vous dire un secret, après 11 ans à Édouard-Montpetit, je suis toujours précaire», affirme Martin Geoffroy.
À quatre ans de la retraite, le statut de permanence serait d’ordre symbolique dans son cas, concède-t-il, mais il demeure que la difficulté à l’atteindre n’aide en rien l’attraction et la rétention de main-d’œuvre.
Une autre des revendications qui lui tient à cœur est la reconnaissance du statut de chercheur au collégial. Celui qui a fondé le Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR) accuse le gouvernement de ne pas vouloir «baliser la recherche, pour en garder le plein pouvoir. La liberté académique, dans les faits, elle n’est pas reconnue».
Enseignement à distance
Le SPPCEM fait également de l’encadrement de l’enseignement à distance un autre cheval de bataille.
«L’enseignement à distance est vu comme une vache à lait extraordinaire. Mais c’est un coup dur pour la qualité de l’enseignement, estime-t-il. On en a vu les limites pendant la pandémie. Le contact humain, la présence, c’est là que ça se passe. Ça doit être encadré, car tant que ce n’est pas inscrit dans la convention collective, l’employeur va en abuser.»
Cégep Édouard-Montpetit: les professeurs en grève… jusqu’au bout
Ali Dostie